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PrÉcieuses Ridicules

de Molière

 

 

Réalisation Yves Gourmelon
Collaboration artistique ( Espace, lumières, costumes) Alain Béhar
Conseils dramaturgiques Lydie Parisse
Musiciens Mathieu Ogier, Stéphane César
Comédiens Pierre Astrié, Pierre Barayre, Elodie Buisson, Jérôme Frey, Cécile Marmouget-Auxire, Grégory Nardella, Dominique Ratonnat

LES PRÉCIEUSES RIDICULES, SECOND VOLET DES IMPRÉVUS.

Je voudrais repréciser les enjeux de cette démarche particulière. Plusieurs raisons m’ont poussé à cette démarche : j’avais la volonté de remettre en question la manière que j’ai de faire du théâtre, de mettre en scène et de jouer. Pendant plus de vingt ans, j’ai toujours tout fait pour présenter des spectacles qui, malgré les nombreuses imperfections, prenaient une forme définitive avant même la présentation au public. Un jour, l’objet théâtral était déclaré fini parce que le public allait bientôt être là, et qu’il fallait être prêt, montrer une œuvre aboutie, en tout cas apparaissant comme telle, malgré les doutes et les approximations. Le public devait assister à quelque chose ayant un début, une fin et des contours bien définis.
Aujourd’hui, après des années de pratique, j’ai repéré que derrière cette manière de faire se cachait une peur certaine de la forme-essai et du risque artistique.
Je veux avec les Imprévus , tenter autre chose, aller voir du côté de cette peur, du côté d’une certaine incomplétude. Pour me guider dans cette démarche incertaine, j’ai trouvé avec Alain Béhar la personne qu’il fallait, habituée aux « tangeantes »et à l’inachèvement productif. Ce choix interroge ma pratique de metteur en scène ,d’artiste, mais elle voudrait aussi interroger la place du public.
J’ai l’intuition que la fragilité de la représentation peut créer une certaine tension ludique, et favoriser une complicité entre le plateau et la salle. Aujourd’hui le théâtre, face au déferlement de l’image enregistrée, doit chercher des formes en rupture, en opposition, avec cette domination. C’est seulement ainsi qu’il pourra garder une place originale.

Les Précieuses ridicules  sont le second volet des « imprévus », après  Premier amour  de Beckett donné en décembre dernier. Le jour où j’écris ces lignes, rien de décisif ni d’effectif n’a encore été fait sur scène pour préparer ce spectacle. Les comédiens apprennent leur texte scrupuleusement, c’est tout. Deux jours avant, ils vont rencontrer l’équipe de réalisation, recevoir des consignes d’action et de jeu, rencontrer violemment l’œuvre de Molière, s’accorder, dans l’instant, avec tous les interprètes et tout de suite après, se jeter dans la représentation. Ils ont aimé cette idée d’inventer à toute vitesse et sans se retourner.

Ce qui s’expose, dans cette présentation des Précieuses ridicules, plus que le regard porté sur l’œuvre de Molière, c’est avant tout l’effort visible des acteurs pour dire ce morceau du répertoire, et marcher dans la suite des consignes reçues de l’équipe de réalisation.
Ce qui s’expose, ici, c’est la beauté de cet effort, de cette tension entre la mémoire du texte et sa perte.
Ce qui s’expose, dans cette épreuve avec le texte vite appris, c’est une hésitation entre faire et défaire le Théâtre des Précieuses ridicules.
Ce qui s’expose, c’est la peur aussi de jouer le répertoire, sous la pression de l’histoire des mises en scène de la pièce, c’est l’impossibilité de faire le Théâtre du XVIIème siècle, et la fragilité ludique des acteurs se tenant au texte, s’en tenant au texte, tenant le texte parfois.
Ce qui s’expose, dans cette présentation en chantier, c’est une sorte de travail archéologique maladroit autour de la langue, ce qui s’expose c’est le risque de ne pas savoir jouer Les Précieuses ridicules et de les jouer malgré tout, dans la joie du risque théâtral osé.
Ce qui s’expose, c’est le tableau des comédiens qui n’en savent pas assez et s’aventurent avec pudeur pour toucher, de la voix et du corps, un rien du tout qui leur fait désirer le théâtre avant toute chose, ce qui s’expose alors dans ce rien, ce n’est pas encore un métier, pas un savoir faire non plus, mais une passion intacte et enfantine pour le théâtre.
Ce qui s’expose, ici, c’est le texte de Molière, pas encore lu et relu, pas encore analysé et commenté, mais seulement montré pour qu’il tente son effet de théâtre, tout seul, sans aucun intermédiaire.
Ce qui s’expose dans cette présentation, c’est un rêve de théâtre qui aurait lieu, sans rien, sans personne pour le servir, pour l’accomplir, mais qui se donnerait malgré tout, dans le manque, l’absence même du théâtre réalisé.
Ce qui s’expose en premier c’est un simple bricolage de plateau, une petite entreprise de déconstruction pour essayer de voir ce qui advient quand presque tout manque, sauf le texte qui refait surface.
Ce qui s’expose peut-être encore c’est quand même une représentation, mais qui n’a pas vraiment lieu d’être, ou qui n’a pas commencé, qui ne sait rien d’elle-même quand elle débute (qu’elle dure et qu’elle se termine), et qui part de ce fait pour exister, c’est une représentation dont les comédiens ne savent rien, ou pas grand-chose quand ils la jouent, avec joie, inquiétude et densité, ce qui s’expose ici, c’est un rêve.

Yves Gourmelon.

LES PRECIEUSES RIDICULES : DE L'AUTRE COTE DU MIROIR.

Molière, en humaniste, était sensible à une condition féminine désastreuse maintenue dans l'ignorance des couvents pour mieux se plier dès l'âge de douze ans aux mariages forcés avec des gâteux. Il en parle dans Le mariage forcé , L'Avare , L'Ecole des femmes . Que la préciosité représente un foyer de contestation de ces pratiques scandaleuses, qu'elle affirme que tout individu, homme ou femme, puisse choisir son destin, voilà qui ne pouvait lui déplaire. Mais à l'époque de l'Hôtel de Rambouillet ( 1620-1848 ) succède celle des imitations et des ridicules ( 1653-1656). Les Précieuses ridicules date de 1659. A l'origine, une précieuse est une femme qui, par son veuvage, son rang, entend s'affirmer comme un être «  de prix, ayant sa valeur propre d'être humain  ». Cela devient quelqu'un qui juge de tout et accorde du prix à ce qu'elle juge. Molière devra s'affronter à cette cabale dans Les Femmes savantes.

Deux jeunes filles rêvent Carte du Tendre et se retrouvent au pays de Dur.

S'illusionnant sur la vie et s'imaginant encore, malgré les tractations dont elles sont l'objet de la part de leur père et oncle, concilier amour et mariage, bref, se donnant du prix là où nul ne leur en voit, Cathos et Magdelon, pur produit de leur époque, rêvent d'être le superflu de quelqu'un, elles rêvent de gratuit, de noble, de pur, pour échapper au cauchemar. Mais ces notions sont sans contenu, c'est juste une vitre pour ne pas voir ce qu'il y a derrière : une vie vouée à l'ennui, à l'utilitarisme bourgeois, au Kinder Kirsche Küche.(1) Manquant d'outils pour contester le réel, elles font comme si elles ne l'avaient pas vu.

Le miroir est un objet-clé, voué au culte narcissique du Même. On n'y supporte que sa propre image, ou ce qu'on rêve en place et lieu de l'autre, l'homme, cet inconnu, ce partenaire de jeu. Le miroir ne peut qu'être un « conseiller des grâces » , il sera celui des disgrâces.

Le miroir, c'est aussi la logique d'une farce construite sur le modèle mimétique. Tout le monde imite quelqu'un. Les valets les maîtres, les jeunes filles les héroïnes de romans, les maîtres les mâles de leur lignée. Il y a l'imitation spontanée et l'imitation sur commande – celle des valets, au service de la vengeance. Il y a l'imitation parfaite et l'imitation ratée : les deux donzelles ont oublié l'esprit de la préciosité au profit de la lettre, et leur rôle de composition n'est pas vraiment au point  : elles connaissent leur vocabulaire, mais elles le placent de travers dans leurs répliques, elles veulent paraître distinguées, elles ne sont que banales. Les domestiques ont été sommés de jouer un rôle, mais ils s'en débrouillent assez mal : Mascarille ne fait pas longtemps illusion ; quant à son compère, son naturel revient trop vite au galop. Les maîtres sont les metteurs en scène d'un théâtre de la cruauté qu'ils regarderaient depuis les loges, ils n'improvisent guère, ils n'ont rien à faire, qu'à mettre en route une machine implacable, un rituel de corrida avec des coups en lieu de mise à mort. Dans l'arène, tous courent un danger sauf eux : spectateurs et ordonnateurs, ils sont protégés par le principe du théâtre dans le théâtre. La société est de leur côté, le public s'amuse grâce à eux, que peut-il leur arriver ? On peut imaginer qu'ils courent le risque d'une improvisation ratée : imaginons Mascarille aussi mal accueilli que ses maîtres, ou deux filles détestant les hommes et n'aimant qu'être entre elles ….

L'ennui, le déni du réel, le refus de voir leur condition, la contestation de leur naissance– elles changent de prénom - un fatras de lectures mal assimilées, un sentimentalisme de pacotille, voilà qui les rapproche de celle qui, deux siècles plus tard – l'aliénation féminine se poursuivant toujours – sera Emma Bovary, mais à l'époque, le système à la mode est le romantisme. Comment ne pas s'ennuyer à 15 ans, sortant des mains des bonnes sœurs, maintenues dans le moralisme, l'ignorance et l'illusion du dehors, n'ayant rien vu et rêvant de découvrir le monde – Paris – alors qu'il n'est question partout que d'enfermement ? Les romans à l'eau de rose, ce sont les romans précieux et leurs parcours abstraits sur le modèle du pur amour. Les jeunes filles dévorent cela, s'efforçant de rêver sous peine de périr. Leur situation crée leur folie, elles en deviennent ingrates, à force d'être dépouillées de tout : d'outils intellectuels, de liberté, d'expérience, de personnalité. Elles en deviennent comiques.

Mais ce comique tient aussi à un invariant : l'adolescence. En changeant de langage, elles contestent le monde adulte. Frivoles, elles le sont à la manière des ados. S'amuser, elles ne rêvent que de s'amuser, voir et être vues, pouvoir continuer à se raconter des histoires de romans-photos. Bourgeoises, elles se verraient aristocrates. De la préciosité, elles ne saisissent pas la substance contestataire, mais seulement le pouvoir d'évasion qui les éloigne du dur, du cru et du nu. Et pourtant, à force de vouloir échapper au vulgaire, à la condition animale et au système de prédation, elles se farcissent la carte de Dur, une vengeance brutale, et deux hommes nus.

Lydie Parisse

(1) Enfants, religion, fourneaux : l'équivalent, pour Hitler, du « travail famille patrie » français.


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