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la rÉpÉtition publique

Trilogie

Mise en scène Yves Gourmelon

dans l'ordre de la représentation :

I -LA REPETITION PUBLIQUE de Yves Gourmelon

ENTRACTE

II -THEATRE CONTEMPORAIN de Emmanuel Darley

ENTRACTE

III - REALITARIUM (pièce à machines) deLydie Parisse

Le chaudron du théâtre

Genèse d'un projet.

La répétition publique est un projet qui met en jeu de manière burlesque la problématique du théâtre contemporain : l'interrogation sur la mise en scène postmoderne, sur la place du texte, la place du vieux répertoire, la place des spectateurs et sur le théâtre et la cité. Tout ça traité avec légèreté et même désinvolture, dans une trilogie qui, sur le mode du ratage, de la « foirade », permet de laisser au théâtre son rôle de singe de la vie.

Les trois pièces célèbrent, à leur façon, les grands auteurs du théâtre ( La répétition publique a pour l'occasion convoqué les grandes marques : Beckett, Corneille, Shakespeare…), et tous les personnages de ces foirades sont des figures du théâtre (comédiens, musiciens, metteurs en scènes, auteurs, spectateurs, décideurs, techniciens, etc…). Elles mettent en avant, toutes, la mise en abîme du théâtre, en exposant avec indécence le théâtre dans le théâtre, en dévoilant tous les dessous de la représentation.

La répétition publique   de Yves Gourmelon est un divertissement épinglant l'obsession contemporaine du non-spectaculaire, la tentation aussi du tout expérimental, et la remise en cause systématique de la place du public. Dans le grand fatras de cette proposition, il est question aussi de En attendant Godot et de sa représentation problématique. Au final, tout doit se résumer à un tendre hommage au postmodernisme.

  Théâtre contemporain   d'Emmanuel Darley est construit autour d'une répétition du Cid interrompu par un commando d'auteurs venus défendre bec et ongles le théâtre contemporain. Les comédiens sont pris en otages et doivent jouer du Emmanuel Darley. L'auto-dérision est portée à son comble par un auteur contemporain des plus sérieux, qui pratique ici la franche rigolade.

Realitarium de Lydie Parisse se joue dans quelques intervalles de Roméo et Juliette de Shakespeare. Le chef de troupe (Roméo) est ambitieux, avec sa machine à paroles, il veut faire éclater le vieux théâtre, mais il n'est pas suivi par ses camarades, et c'est sans compter avec le “ président directeur universel ” qui veut ratatiner sa machine et fermer le théâtre, s'ensuit un loufoque affrontement, au milieu de miettes shakespeariennes.

Le projet La Répétition publique a été mis en « chantier » au Nouveau théâtre à Besançon en mai 2006 sous le titre provisoire « Tout doit disparaître ». Une présentation publique du travail a été proposée le 30 et 31 mai 2006, avec une distribution provisoire : Dominique Ratonnat, Pierre Barayre, Cécile Marmouget, Grégory Nardella, Evelyne Guimarra, Emmanuel Valeur.

Exposition : jardin des possibles

Lors du « chantier » au Nouveau théâtre de Besançon, les acteurs ont répété pendant une semaine, mais le travail se ressent de l'expérience de l'an dernier, qui a ouvert des perspectives aux acteurs comme au metteur en scène. Plus qu'une étape de travail, le chantier est devenu une forme en soi, qui traque le vivant, loin des formes scéniques longuement élaborées et fignolées. Il a pris pour moi un caractère particulier lors de la saison dernière où j'ai expérimenté une façon autre de mettre en scène. J'ai réalisé deux spectacles : Premier Amour, de Samuel Beckett  et Les Précieuses Ridicules , de Molière, sans répéter. Les acteurs sont venus deux jours avant la première représentation, leur texte su. Ils se sont prêtés à un jeu de consignes, se sont heurtés à un dispositif scénographique préalablement déterminé, et ils ont joué tout de suite. Ils ont aimé prendre ce risque et retrouver une liberté d'acteur rarement recherchée sur le marché. Ils ont apporté au public une électricité théâtrale peu orthodoxe.

Qu'est-ce qui se passe dans la salle d'attente du théâtre, quand le théâtre se prend les pieds dans le rideau ? Qu'est-ce qui se joue là ?

Il pourrait se trouver un décor sur scène sans rapport avec notre projet. Une toile de fond à peine visible ayant servi à un autre spectacle.

Au centre de la scène, il pourrait y avoir une table de travail. Tous seraient assis autour de la table à l'entrée du public. Restes d'un repas. Masques et maquette de décors en vrac. Des plantes aussi, des plantes surtout, partout, sur le plancher, sur la table. Sur la table, un petit arrosoir. Une radio. Un ordinateur traînerait aussi par là. Ce qui dominerait, c'est le jardin. On doit surtout voir ça.

Un écran mangerait une partie de la scène, au milieu. La toile au fond serait cachée aussi. Une partie de la table serait cachée derrière l'écran.

L'un des acteurs, sujet autonome, pourrait recevoir des consignes par téléphone portable pendant le jeu. Il serait celui qui peut faire patiner la machine. Son rôle serait incompréhensible aux spectateurs. Dès le début du spectacle, avec l'aide des régisseurs, il mettrait en place la deuxième pièce.

Deux perches seraient descendues et un régisseur accrocherait des projecteurs. Il y aurait des projecteurs sur la table. Un projecteur sur pied serait installé pendant la première pièce : ce serait la « mandarine » de Théâtre contemporain . Il s'allumerait au milieu de La répétition publique , changeant l'ambiance du tout au tout sans signification particulière. Les acteurs seraient habillés comme à la ville. Il y aurait deux micros sur pied à installer aussi au début de la pièce. On accrocherait aussi des costumes aux cintres.

Les acteurs joueraient réellement une situation : le public est là et ils ne sont pas prêts. Foirade donc. Au cœur du dispositif, un manque. Manque paradoxal, à la fois volontaire et involontaire. La réalité doit être toujours tangible, concrète. On peut parler de réalisme. Le réalisme du théâtre. Le chaudron du théâtre, c'est le décor de la pièce et sa substance. Il faut jouer simplement ça, avec conviction, parfois un peu trop de conviction. L'idéal, c'est de refaire tous les jours le processus du premier jour, avec tous les tâtonnements de la mise.

Yves Gourmelon

Logique d'une trilogie

Dès le départ, les trois pièces de La Répétition publique ont été appelées à former un tout. Trois pièces de commande. La contrainte, posée par Yves Gourmelon, était la suivante : écrire du théâtre dans le théâtre, en prenant pour support une pièce du répertoire classique, que l'on commencerait à interpréter sur scène mais sans pouvoir la jouer. Réécriture donc, rebricolage, et surtout, échec. Représentation interrompue pour cas de force majeure de mise en abyme. Déplacement du regard, les spectateurs étant invités, non plus au spectacle de l'achèvement mais de l'inachèvement, non plus à la contemplation d'une surface lisse et bien rodée, mais d'un spectacle en train de se faire, qui prend l'allure d'une improvisation sans en être et les mène quelque part tout en semblant les mener nulle part. Spectacle interactif qui questionne avant tout une topique : pourquoi être là au théâtre, ici maintenant, que l'on soit d'un côté ou de l'autre, sur le plateau ou dans la salle?

Les trois pièces appartiennent au même dispositif, s'inscrivent dans le même décor, le même espace, avec les mêmes acteurs. L'esquisse qui s'est dessinée à Besançon sur la moitié des deux premières pièces a proposé quelques pistes de réflexion et posé les bases d'une scénographie. Tout le travail à venir reste à trouver des charnières entre les partitions et des articulations à l'intérieur du dispositif scénique. Le plateau est envisagé comme un jardin des possibles. Décor aléatoire, ingrédients du manuel du jardinage, ficelles tendues entre le plateau et le public, la scénographie s'est construite sur une évocation distanciée des expérimentations du postmodernisme, auquel il rend hommage, en mêlant abstrait et concret : l'exposition d'un jardin, sur fond de mise en abyme de l'absence et du manque comme problématique dramaturgique. Si ces égarements prêtent à rire, les choix scéniques disent aussi la fragilité des zones-frontières entre le plateau et la salle : sur scène comme dans les premiers rangs du public, des rangées de verres transparents sont disposées, comme pour inviter à un partage symbolique, qui devient tangible lorsqu'un spectateur est convié à goûter un verre de whisky pour se mettre en bonnes conditions, avant que la pièce commence - la pièce, car le spectacle est dans la salle. Le recours à la vidéo dit la même chose : se jouant du l'usage systématique de la vidéo sur la scène postmoderne, il propose une lecture caustique de ce qui se passe sur le plateau, en filmant l'envers du décor.

Vous l'aurez compris, il s'agit autant de théâtre virtuel que de théâtre en situation, envisagé dans les conditions concrètes de sa représentation. Comme on fait du théâtre sur l'école dans les écoles, du théâtre sur l'usine dans les usines (plus rare!), du théâtre sur l'université dans l'université, du théâtre sur la rue dans la rue, on fait du théâtre sur le théâtre dans un théâtre. Le théâtre n'est pas seulement interrogé comme convention, mais comme lieu : le lieu d'une rencontre toujours bouleversante, qui détermine un avant et un après, qui brise, de manière imperceptible ou non, le continuum de l'existence. La trilogie l'envisage comme un triple lieu de rencontre : avec le public, avec les auteurs, avec le réel.

Les trois pièces, avec leurs titres volontairement génériques, font miroiter chacune une de ces facettes: La répétition publique renvoie au spectacle interactif, Théâtre contemporain interroge le répertoire et la condition des auteurs de théâtre, Realitarium questionne la relation au réel quand tout chavire autour.

Pièce n°1 : Théâtre et service public

La répétition publique , la pièce de Yves Gourmelon, a commencé à prendre forme, pour la première moitié, dans une esquisse de représentation tendrement interactive à Besançon. A l'intérieur d'un spectacle qui n'a pas encore eu lieu, on a pu voir le personnel de la scène prendre soin de son public – d'où le titre La répétition publique . En empathie avec la salle, gracieux et souriant, il vérifie que tout le monde est bien installé, et échange des propos complices avec les uns et les autres. Rien à voir avec ces spectacles " furieux" qui mettent le spectateur dans des situations de porte-à-faux, le choquent, le manipulent, le piègent. Ici, nulle provocation, tout est lisse, feutré, on est là pour le développement personnel du spectateur, c'est l'anti-stress après le stress, le repos bien mérité après les servitudes du jour. Un jardin s'installe peu à peu, une musique douce, les rituels conjuratoires de la fatigue, cet ennemi : le bain de pied, le petit verre, la chaise longue, la musique douce ; les utopies qu'on caresse : la nature, la paix. Et pourtant, nulle improvisation, nulle démagogie, c'est la pièce qui se déroule, tout est écrit ici-bas au théâtre.

Des personnes se sont rencontrées, le lien est établi. A partir de là, le théâtre peut trouver son espace, un espace chaleureux à l'intérieur duquel les uns et les autres ont besoin d'être mutuellement encouragés et portés. Le public gardera l'empreinte de cette délicatesse sur fond de burlesque.

Faire du théâtre avec du rien, telle est la gageure, mais pas faire du rien avec du théâtre. Derrière la simplicité se cache un souci maniaque du raffinement et du détail. Le plateau sera beau ou ne sera pas.

Prendre pied sur scène est un acte théâtral à part entière, et la pièce pose la question des commencements : comment débuter un acte théâtral, d'où vient-on avant d'arriver là ? Autant de questions en écho à ces personnages rescapés de Godot, qui arrivent à côté de leurs godasses, avec leur handicap comme métaphore de l'humaine condition. Et pourtant, que de candeur dans Beckett ! Ce spectacle, qui lui rend discrètement hommage, est averti mais candide lui aussi.

 

Pièce n°2 : Théâtre et auteurs morts ou vifs

Après un court entracte, les spectateurs seront invités à voir Théâtre contemporain , de Emmanuel Darley, assistant, sur un plateau qui dévoile les coulisses du théâtre, à une répétition houleuse du Cid de Corneille, qui leur donnera l'occasion d'une inspection indiscrète des travers des gens de théâtre : les rapports de force et les ravages de l' ego . Conviés à scruter les envers hilarants du décor, les spectateurs sont subitement pris à parti par des auteurs qui envahissent la salle pour faire valoir leurs droits. Plus question de rire. En effet, les programmations des salles font en général une part plus belle au répertoire classique, censé répondre davantage aux attentes du public. Les auteurs contemporains sont voués à la misère de (rares) lectures dans des lieux happy few , ce qui les dispense en général d'être joués. Contraints à des actes désespérés pour rencontrer un vrai public, ils forcent de temps à autre une salle pour pouvoir se présenter, se faire connaître, en interrompant le spectacle qui se donne. Après avoir neutralisé les acteurs, ils les obligent à jouer une pièce à succès de l'auteur lui-même ( private joke  !) : Pas bouger , de Emmanuel Darley. C'est malin !`

Le public est appelé à réagir, à prendre parti, à s'intéresser à ces délaissés, à imaginer ce que pourrait être un théâtre contemporain devenu un diktat , jusqu'à l'outrance, jusqu'à la caricature.

L'espace scénique joue de distorsions et d'effets de miroir, mettant en scène les fantasmes et les boursouflures narcissiques des uns et des autres, acteurs et auteurs – sauf Corneille, qu'il repose en paix !

Pièce n°3 :Théâtre et réel dans tous leurs états

Le troisième volet du triptyque est Realitarium , de Lydie Parisse. Pièce à machines , comme l'indique son sous-titre. Plus difficile d'en parler vu que c'est moi l'auteur. Cette pièce figure à la fin car elle est hantée par la fin des fins : comment finir au théâtre, mais aussi comment tout va-t-il finir ?

Dire qu'elle aborde la rencontre avec le réel est un peu pompeux : tout théâtre, toute littérature est questionnement sur le réel. Mais il y a des manières plus systématiques de le faire : quand la représentation que l'on a du réel devient sujet d'inquiétude, et dévoile l' abîme sur lequel nous sommes assis.

C'est surtout qu'ici une radicalisation d'un autre type s'est opérée : la scène est devenue un lieu-refuge, un rempart contre le monde. Une femme y habite ; des acteurs viennent y répéter, en cachette, Roméo et Juliette de Shakespeare. Autour, tout croule : les théâtres n'étant pas rentables, celui-ci va être transformé en gymnase ou en piscine. Les spectateurs, devenus complices de cette clandestinité, ont risqué leur peau pour venir. C'est du moins l'histoire qu'on leur invente. Mais la scène est aussi le lieu des bonnes et mauvaises rencontres. Dans cette confusion, les acteurs auront besoin de compter ferme sur le public, pour être bien sûrs de ce qui est écrit. Deux machines, deux clans vont s'affronter : le rêve contre la réalité plate, le spiritualisme contre le matérialisme, la parole contre la langue de bois. Le redoutable « Realitarium » va-t-il pouvoir imposer sa représentation du réel ?

Un programme qui devrait tenir les spectateurs en haleine, en leur proposant, dans les limites de la convention théâtrale, d'entrer dans le jeu.

Lydie Parisse

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